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Noirlieu, Généralité de Poitiers, Octobre 1741

 

 

-Ce pauvre petit n’a pas eu de chance…, s’attrista l’abbé Pellerin. Son père traînait une brouette de navets, pleine à craquer. Et puis, il a eu une violente quinte de toux qui l’obligea à lâcher prise. La brouette s’est penchée en arrière, à culbuter le drôle qui lui même a glissé sur le verglas. Sa tête s’est effondrée sur une pierre, et voilà…

Il leva les bras au ciel.

-Je n’ai même pas pu lui donner les derniers sacrements !

Jean Gorry écoutait, passif. Le vent s’amusait à faire grincer les vieilles poutres de l’auberge Sainte-Radegonde. Par des temps comme ceux là, personne ne s’aventurerait dehors, à part peut-être quelques marchands qui feraient Thouars-Bressuire.

L’aubergiste hochait la tête. Il aimait M. le Curé pour sa simplicité, son dévouement et son abnégation. Il était au service de tous les habitants de Noirlieu et à aucun moment on ne le dérangeait. Même réveillé en pleine nuit, il apportait avec joie les huiles saintes pour ceux qui s’approchaient du grand passage.

Jean essaya de changer de sujet :

-Et votre frère, Monsieur le vicaire de Saint Clémentin, comment va-t-il ?

L’abbé trentenaire balaya de sa main la question :

-Il n’en fait qu’à sa tête, il est encore trop jeune pour saisir tout le poids de sa mission. Rien ne lui fait plus plaisir que d’acheter à grand frais les derniers habits liturgiques, tous droits venus de Saumur. Et quand il devrait s’inquiéter du sort des âmes qui lui sont confiées, il ne pense qu’à son vœu le plus cher qui est de faire venir Monseigneur dans sa paroisse…

Comme pour s’excuser, il ouvrit les mains, paumes vers le ciel :

-Mais bon c’est avant tout mon frère et aussi un pêcheur comme tous les hommes.

Soudain, la porte s’ouvrit et un froid glacial envahit la salle. L’effet de surprise et de peur fut prodigieux. Un homme entra, vêtu d’habits noirs. Une neige presque fondue s’accumula en petit tas puis s’étira en une flaque sur le seuil d’entrée. Le nouvel arrivant baissait la tête, il retira son bonnet et s’installa, sans dire un mot, à l’une des tables les plus éloignées du comptoir. Il sortit de l’une de ses poches de sa fourrure toute une liasse de papiers. Il les examinait soigneusement puis les triait en trois tas.

C’était un soir d’octobre, l’un de ceux où le soleil ne daigne même pas se montrer.

C’était le premier voyageur qui osait s’aventurer dans le bourg de Noirlieu depuis le début des gelées.

C’était aussi un homme silencieux et sobre.

Après avoir questionné du regard le prêtre sur la meilleur position à adopter, Jean osa quelques mots de bienvenue. Pour toute réponse, il eut un murmure du genre :

-J’aimerais simplement passer la nuit ici.

Les sourcils froncés et concentrés sur son affaire, il n’avait même pas daigné levé les yeux vers son hôte d’un soir.

L’aubergiste serra les poings car il n’aimait guère les malpolis mais il fallait s’armer de prudence, Dieu seul savait ce que cet individu avait dernière la tête. Peut-être s’agissait-il d’un homme recherché par la sénéchaussée de Saumur ou même de plus loin ? Peut-être était-il un voleur ? Un pilleur ? Un meurtrier ?

Ou peut-être était-il tout simplement un voyageur muet et antipathique.

Jean allait lui faire une remarque sur son comportement quand une toux grasse venue de l’étage l’interrompit net. La voix affolée de sa femme confirma ses doutes :

-Jean, viens vite, Marie-Anne ne va pas bien du tout. Son état s’est aggravé depuis tout à l’heure.

Il fit signe au prêtre de surveiller l’étranger :

-Ma fille est malade, s’excusa-t-il .

Ce fut l’autre homme qui lui répondit, à sa grande surprise :

-Qu’est-ce qu’elle a ?

Jean l’ignora ostensiblement. Débouler ainsi dans une auberge de village, sans mot dire, ni bonjour, ni aucune civilité, s’attabler sans aucune permission et puis finalement quémander des informations sur la famille vivant dans le lieu, tout cela diminuait considérablement les chances de ce malotru à passer la nuit ici. Le sang de Jean, héritier des tempéraments bouillonnants du Haut-Poitou et des marches de l’Anjou, était lent à la colère mais intransigeant sur le respect d’autrui et sur tout question relatif à l’honneur.

L’aubergiste, aussi mari et père de plusieurs enfants, monta les marches de l’escalier quatre à quatre de sa vigueur de trentenaire.

Marie-Anne, sa fillette adorée, était pâle comme les draps du lit qui la recouvraient. Depuis quelques jours l’appétit et ses forces l’avaient quittés et, paralysée au lit, elle murmurait des phrases incohérentes, la nuit, entre deux cauchemars terrifiants. C’était pourtant une enfant d’habitude si gaie, si rieuse ! La voir ainsi était un vrai calvaire pour ses parents.

Et son état s’était empiré. Des goutes de sueur perlaient son front ; sa mère tenait sa main, alarmée par la situation. Que faire ? Quelle décision prendre ? Quels soins peut prodiguer un père dans un tel moment ? S’en remettre à Dieu.

-Mon père, mon père venez-vite ! s’écria Jean.

A sa grande surprise et quasiment juste après, l’inconnu apparut dans la chambre. La lumière des chandelles révélait son physique : il était grand, maigre, à moitié chauve et ses yeux s’étaient retranchés dans leur cavité. Une longue cicatrice lui balafrait le front de gauche à droite et un teint cireux lui donnait de surcroit un aspect affreux et effrayant. Bref, un homme tout à fait plaisant à dévisager et que Jean aurait accueilli avec joie...

-Qu’est-ce que vous faîtes là ? hoqueta de surprise la femme de Jean, également prénommée Marie-Anne.

-Oui, fit Jean, vous entrez dans cet établissement comme si vous en étiez le maître et vous visitez les chambres sans que l’on vous y appelle? Qui donc êtes vous ? Je ne sais même pas pourquoi je vous pose cette question ! Sortez immédiatement de cette maison, plutôt, oui !

-J’ai des connaissances en médecine, répliqua l’autre froidement, j’ai voyagé dans le nord du royaume, dans les Flandres et jusqu’en Bavière même, là ou les apothicaires sont bien mieux avancés que nous.

-Ah oui, là dessus, je veux bien croire. Vous n’êtes, assurément pas de chez nous, votre accent vous trahit. Mais vous ne croyez tout de même pas que je vais vous laisser approcher ma fille aussi facilement ?

Les deux hommes se soutinrent du regard durant un long moment. Le curé, arrivé entre-temps, tenait le saint chrême entre ses mains tremblantes et ne savait que faire.

-Assez ! fit sèchement l’inconnu. Si je vous voulais du mal je ne m’occuperai pas de votre fille, le temps ferait son affaire. Rien qu’en l'examinant d’ici, je sais que, sans soin, elle est perdue d'ici la fin de la semaine. Laissez moi l’examiner, ou ayez sa mort sur votre conscience.

Jean Gorry réfléchit encore un instant et puis recula d’un pas à contrecœur, son instinct de père étant plus fort que son orgueil masculin.

L’étranger pressa une main osseuse sur le front brûlant et transpirant de l’enfant. Parmi les craquements de charpente et la tempête de neige du dehors, la petite respiration sifflante battait la mesure d’une danse macabre.

L’apothicaire-médecin replia les draps trempés de sueur et posa son oreille sur le torse qui s’élevait et retombait lourdement sur lui-même.

-Ses poumons sont encombrés, elle a beaucoup transpiré. Amenez moi du bouillon de volaille et une grande quantité d’eau.

Alors que Marie-Anne se levait déjà, il ajouta :

-Et puis donnez moi un mortier, ou si vous n’en avez pas, une gamelle et une large cuillère feront l’affaire. Oh et aussi…Vous avez d’autres enfants ?

-Oui, sept autres, ils sont dans la dernière chambre.

Le grand homme sec hocha la tête :

-Bien, ils ont interdiction de venir dans cette chambre et même de passer devant cette porte !

Toutes ces indications augmentèrent l’incompréhension et l’appréhension des parents.

-D’ailleurs, fit-il en regardant de manière oblique le prêtre, quiconque n’ayant pas une présence indispensable dans cette pièce est priée de partir.

Le jeune abbé ne dit rien car la gravité de la situation ne le lui permettait pas mais il restait ferme dans sa conviction de rester dans l’auberge jusqu’au dénouement de l’affaire. Il descendit donc, penaud, au moment où la mère revenait avec tout l’attirail demandé :

-Allez-vous finir par nous dire ce qu’à notre fille ?

L’inconnu restait impassible dans son auscultation. La mère éclata en sanglots, lui prit les mains pour l’obliger à regarder ses yeux bleus intenses :

-Sil vous plait, Monsieur, dites le nous.

-Je n’en suis pas sûr…

-Une mère doit savoir ce qui ronge son enfant…

-Alors madame, puisque c’est votre vœu, je pense que votre fille est atteinte de…de la phtisie...

Maire-Anne plaqua involontairement une main sur sa bouche, horrifiée et elle s’effondra dans les bras de son époux.

-Quand elle sera réveillée, vous la rassurerez. Même si je ne peux rien assurer, le mal a été pris à temps, je vais lui passer deux ou trois onguents et en lui faisant boire les mixtures que je lui prépare elle devrait guérir.

Des larmes d’une multitude de sentiments inondaient les yeux de Jean. L'apothicaire sortit de ses poches toutes sortes de petites fioles, d'herbes. Il les broya, les dilua et les mélangea durant de longues minutes. Puis, il appliqua d'une main douce les paumades sur le petit torse. Lentement, il fit boire jusqu'à la dernière goutte une potion qu'il venait de concocter.

Lorsqu’il n’y eu plus qu’à attendre, l’inconnu fit signe à Jean, qui avait entre temps couché sa femme, de redescendre. Il lista au père les solutions qu’il devrait faire avaler à sa fille matin, midi et soir.

-Et surtout, donnez lui beaucoup à boire, dit-il en dernière recommandation.

Les deux hommes descendaient l’escalier tranquillement. L’avis de Jean sur le nouvel individu avait changé petit à petit au cours de la soirée :

-Vraiment, je dois vous avouer que je vous dois mille mercis, monsieur. Le plus proche médecin est à Thouars, à presque deux heures d’ici, alors sans vous, Dieu sait seulement ce qu’il aurait pu arriver !

La suite au chapitre 2 les amis !

PS: si vous voyez des fautes ou des maladresses d'expression, n'hésitez pas à me le souligner!

Tag(s) : #La Chronique
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